pour
une esthétique de la rencontre /
andré breton / l'amour fou
C'est bientôt
juin et l'héliotrope penche sur les miroirs ronds et noirs du
terreau mouillé ses milliers de crêtes. Ailleurs les bégonias
recomposent patiemment leur grande rosace de vitrail, où domine
le rouge solaire, qui éteint un peu plus, là-bas, celle
de de Notre-Dame. Toutes les fleurs, à commencer même par
les moins exubérantes de ce climat, conjuguent à plaisir
leur force comme pour me rendre toute la jeunesse de le sensation.
Fontaine claire où
tout le désir d'entraîner avec moi un être nouveau
se reflète et vient boire, tout le désir de reprendre
à deux, puisque cela n'a encore pu se faire, le chemin perdu
au sortir de l'enfance et qui glissait, embaumant la femme encore inconnue,
la femme à venir, entre les prairies.
Est-ce enfin vous cette
femme, est-ce seulement aujourd'hui que vous deviez venir ?
Tandis que, comme en
rêve, on étale toujours devant nous d'autres parterres,
vous vous penchez longuement comme si c'était moins pour les
respirer que pour leur ravir leur secret et un tel geste, à lui
seul, est la plus émouvante réponse à cette question
que je ne vous pose pas.
Cette profusion de
richesses à nos pieds ne peut manquer de s'interpréter comme un
luxe d'avances que me fait à travers elle, plus encore nécessairement
à travers vous, la vie. Et d'ailleurs, vous si blonde, physiquement
si attirante au crépuscule du matin, c'est trop peu dire qu'ajouter
que vous ne faites qu'un avec cet épanouissement même.
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andré breton,
l'amour fou
éditions gallimard
photo : catherine jamieson
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